Le Yin et le Yang sont devenus très à la mode dans le monde occidental ; on s’en sert dans le prêt à porter, pour fabriquer des bijoux pacotille ou très chers, faire la cuisine en jouant sur la température de cuisson, guérir le corps ou l’âme, combattre, ou même cultiver son jardin.
L’Occident découvre à la fin du XXe siècle ce concept que les Sages chinois, d’aucuns disent les agriculteurs, ont observé et utilisé depuis 5000 ans. Il fait son entrée en force à travers une figurine marrante qui me fait penser à un panda.
Pour faire simple, Le Yin représente le féminin, le noir, la lune, le négatif, le froid, et le Yang serait plutôt le masculin, le blanc, la joie, le soleil, le positif, la chaleur.
Il s’agit d’une énumération non exhaustive puisque tout dans l’univers se scinde en Yin ou Yang, et l’un ne saurait exister sans l’autre. Ils sont en équilibre perpétuellement instable et toute action a pour effet de déstabiliser l’équilibre initial.
En principe l’homme est Yang et la femme Yin, sachant que chacun des deux sexes serait aussi plutôt Yin ou plutôt Yang. Il est donc possible de subdiviser la notion de Yin (ou de Yang) en deux ; ainsi on peut trouver une femme masculine et une femme féminine. D’où la question qui tue : êtes-vous plutôt Yin ou plutôt Yang ?
Pour faire plus sérieux on peut dire que dans la cosmogonie chinoise le Yin et le Yang sont deux entités qui suivent le souffle originel.
Ce souffle, cet esprit, ou ce vent, s’appelle Qi. Le Qi serait donc un principe fondamental et unique qui donne à l’univers et aux êtres leur forme, tout en les transformant sans cesse. Il a bien entendu préexisté au Yin et au Yang, deux aspects, qui, selon la philosophie chinoise, se combinent pour permettre la formation de dix-mille êtres, Wanwu – un nombre considérable pour les chinois – soit la totalité des êtres et objets qui composent l’univers.
Au premier moment du cosmos existait une forme indifférenciée nommée Wuji durant lequel le QI originel (yuánqì) est encore unaire. Puis cette forme se polarise, elle se divise en un pôle Yin et un pôle Yang pour fonder ce qui est nommé Tàijí, littéralement la « poutre faîtière suprême » du cosmos, clef de voûte de la structure de l’univers. Sous la dynastie Song, le philosophe néo-confucéen Zhou Dunyi (1017-1073) dessine un diagramme qui développe une explication cosmogonique reliant le Taiji aux 5 éléments: métal, bois, eau, feu, terre.
En observant ce diagramme, j’ai immédiatement pensé à un système de représentation qui lui ressemble singulièrement et qui, à ma connaissance n’a rien de chinois. Le diagramme renvoie à un autre schéma de représentation cosmogonique qui s’intitule les 10 Sephirot ou l’arbre Sephirotique. J’ai placé les deux modèles côte à côte; à vous d’en juger.
Ne me targuant pas d’être cabaliste et encore moins sinologue, je ne peux qu’observer certaines similitudes troublantes entre les deux modèles. Remarque préalable : la Sefira supérieure ou Keter, la couronne, d’où découlent les autres, est elle-même précédée de ce qu’en hébreu nous nommons Ein Sof, l’Infini d’où tout émane. Pour les chinois, au début était le WuJi l’immobile, le non être, le non manifesté, qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Ein Sof de la cabbale
Sous Keter, deux Sefirot, l’une à droite, l’autre à gauche. Celle de droite s’appelle Hokhma; disons Intelligence et celle de gauche Bina; appelons la compréhension ou intuition. Bina se rapporte à la femme, et Hokhma à l’homme.
A ce stade, la seule et grande différence entre l’arbre séphirotique et le diagramme élaboré par Zhou Dunyi est qu’il place le Yang, soit le principe mâle à gauche, alors que la cabbale juive le situe à droite. Vous admettrez qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Quant au Keter, la couronne, elle devient en chinois le Tàijí, la clef de voute qui soutient l’univers, ce qui est sommes toutes une définition acceptable pour désigner Keter, la couronne. Puis vient la dualité Yin-Yang, soit Hokhma et Bina.
La composante masculine ou féminine n’est pas réservée aux deux sephirot du haut qui suivent Keter ; toute la partie droite de l’arbre sephirotique est régie par l’attribut masculin et la partie gauche par le féminin. Ainsi Hessed, la bonté, est masculin, comme Din ou Gevoura, la justice, est féminin. La dualité gauche droite, masculin et féminin, s’applique aux membres du corps humain, comme aux points cardinaux, comme aux deux grands luminaires, le soleil et la lune.
Pour ce qui est des 4 éléments : feu, eau, bois, métal, qui figurent dans le schéma chinois, il est aisé d’y faire correspondre des Sephirot, mais ce qui est essentiel, c’est que la dernière sephira du bas, celle qui l’on nomme Malkhout, royauté terrestre, corresponde bien au règne d’ici bas, tant pour les chinois que pour les hébreux. La sephira Malkout puise de l’énergie des neuf autres et les traduit ici et maintenant sur la planète où nous vivons.
Auparavant, vers 200 av JC, Dong Zhongshu, un grand lettré qui vit sous le règne de l’empereur Wudi des Han, élabore un système légérement different de celui de Zhou Dunyi. Selon lui l’univers est constitué du ciel, de la terre, du yin et du yang, des cinq éléments (métal, bois, eau, feu, terre) et de l’homme. Le ciel, la terre et l’homme sont l’origine de toutes les choses, le ciel donne la naissance, la terre donne la nourriture et l’homme donne la perfection. Le yin et le yang et les cinq éléments jouent le même rôle aux trois niveaux. En additionnant tous les éléments qui constituent ce modèle on arrive au nombre 10, comme les 10 Sephirot
L’arbre séphirotique, essentiel pour la compréhension de la cabbale juive, trouve son pendant dans la cosmogonie chinoise. Le Yin et le Yang principe féminin et principe masculin est clairement évoqué dans les premiers versets du livre de la genèse. D. fit l’homme à son image
וַיִּבְרָא אֱלֹהִים אֶת הָאָדָם בְּצַלְמוֹ בְּצֶלֶם אֱלֹהִים בָּרָא אֹתוֹ זָכָר וּנְקֵבָה בָּרָא אֹתָם Berechith 1:27
Le génial et regretté Chouraqui (Zal) nous donne une magistrale traduction de ce verset : « Elohim crée le glébeux (Adam) à sa réplique, à la réplique d’Elohim il le crée, mâle et femelle il les crée ». La création première de l’homme est duale, dans la mesure où D. dit :
» nous ferons le glébeux à notre réplique et selon notre ressemblance ».
A l’origine, Adam, avant de subir son opération chirurgicale qui consiste à le séparer en deux, était un, et par conséquent possédait un attribut féminin et un attribut masculin, à l’image de D. Cela amène certains commentateurs à s’interroger : si D crée le glébeux à sa réplique, autrement dit mâle et femelle, ne faut-il pas comprendre que D. , l’unité absolue par définition, est aussi « constitué » par deux attributs dont l’un serait masculin et l’autre féminin.
Les cabalistes nous disent que la Shekhina est le principe féminin de D. en exil. Elle est désignée comme reine et épouse et sert d’intermédiaire entre le monde du Haut et le monde du bas. La Shekhina est donc la complémentarité féminine du divin, et ne peut trouver sa plénitude qu’en s’unissant avec le principe masculin ( le Dod = l’oncle) afin d’arriver à la complémentarité du Tout. Pour certains juifs pieux cela revêt une portée pratique considérable dans la mesure où ils font précéder leurs prières par le vœu d’unité entre le Saint béni soit-il et la Shekhina. Leshem Yéhoud koudcha brikhou ou shkhinté; le mot Yéhoud signifie les retrouvailles, voire accouplement, entre les Saint béni soit-il et la Shekhina.
Ces concepts cabalistiques ne sont pas notre propos, le lecteur intéressé doit se référer aux innombrables ouvrages qui ont disserté à ce sujet. Mais, comme pour la cabale chinoise, ils doivent se montrer d’une grande prudence et, si possible, se faire conseiller par un spécialiste averti.
Un dernier aspect linguistique mérite d’être cité : l’homme, Adam est issu de la terre, Adama, la terre ou la mère nourricière ; principe féminin s’il en est. Il en vient et il y retournera. Ce n’est pas pour rien que Chouraqui choisit de désigner Adam par « le Glébeux », qui provient du latin « gleba » signifiant une motte de terre, et qui renvoie à Globus, le globe. La motte de terre, soit l’infiniment petit rejoint l’univers, l’infiniment grand.
Que peut-on conclure de la mise en parallèle de ces deux modèles, juifs et chinois, qui se ressemblent tant par le fond que par la forme ? D’abord, qu’il est nécessaire de les étudier plus en profondeur ; je n’ai fait qu’efflorer le sujet. Ensuite, qu’ils viennent tous deux du fond des âges.
Quand Confucius en fait mention pour la première fois : « Une fois yin une fois yang cela est appelé le Dao », il ne nous parle pas d’une trouvaille qu’il vient de faire mais se réfère, comme toujours, aux anciens rois dont il tire son savoir.
La Kabbalah, comme son nom l’indique, est une science reçue et transmise de génération en génération. Quand a commencé cette transmission, bien malin qui pourrait le dire. On peut simplement noter que l’histoire de la Chine a commencé il y a quelques 5000 ans et que les hébreux affirment se situer dans le VIe millénaire qui suit la Création du glébeux. Ne pourrait-on pas en déduire que cette connaissance est originaire des premiers temps de la création et, que seules deux civilisations pérennes, l’hébraïque et la chinoise, en ont gardé le souvenir.